Arts

L’exposition Van Eyck à Gand : le deuil du français.

« La plus grande exposition jamais consacrée à Van Eyck » a débuté le 1er février 2020 au musée des Beaux-Arts de Gand, le MSK.

Le musée informe le public que de façon exceptionnelle, la moitié au moins des œuvres de Van Eyck conservées de par le monde, ont fait le voyage jusqu’à Gand. L’évènement se veut incontournable et même mieux, un « véritable tour de force qui rendra l’univers de Van Eyck et son regard révolutionnaire plus tangibles que jamais ». Fichtre, une telle présentation intimide et suscite une immense curiosité, et des attentes. Le titre de l’exposition, « Van Eyck, une révolution optique », clarifie immédiatement les choses : c’est du sérieux et on va remettre les pendules à l’heure.

Alors qu’en est-il de cette exposition tour-de-force ? Les promesses annoncées sont-elles tenues ? Incontestablement, la réponse est positive. Le parcours de l’exposition, les accrochages, les œuvres choisies, tant du maître que des autres artistes, les cartels, notamment en français, font de cette exposition une magnifique exposition. Il y a bien sûr les panneaux extérieurs et restaurés du retable de l’agneau mystique, de toute beauté. Il y a les parallélismes avec les maîtres italiens, plus figés dans les mises en scène. Il y a ce surprenant constat que Van Eyck n’utilisait pas un point unique pour tracer les lignes de fuite dans ses œuvres mais qu’il improvisait selon son humeur et/ou son désir du résultat attendu et recherché. Il y a bien sûr cette représentation très humaine des corps avec leurs détails, dont l’apothéose est la représentation d’Adam et Eve, premiers véritables nus de la peinture. Il y a enfin le plaisir de voir des œuvres éparpillées dans le monde entier rassemblées dans des salles qui remplissent parfaitement leur rôle d’écrin.

Le seul bémol que l’on pourrait apporter est cette nécessité, pour pouvoir écouter les bons commentaires, de devoir approcher son guide audio d’une borne toujours placée si près des œuvres que son accès en est parfois difficile voire héroïque. Seul bémol ? Seuls enseignements à tirer de cette exposition ? Hélas non !

Cette exposition exceptionnelle fait le tour-de-force de proposer le catalogue scientifique de l’exposition en néerlandais, en anglais et en allemand. Pas de catalogue en français ! Cette situation sidérante est symbolique de la perte d’importance de la France dans le monde de la culture. Sur place, j’ai interrogé le personnel disponible pour le public, pour savoir si une édition en français du superbe catalogue de cette exposition était prévue. La réponse apportée fut embarrassée et pas très claire. Il semblerait que le musée n’ait pas trouvé d’éditeur en langue française prêt à s’investir dans ce projet. Interrogé par courriel, l’administration du musée m’a indiqué que le catalogue, conçu comme un ouvrage scientifique destiné aux connaisseurs et experts, n’était pas édité en français !

Il serait facile de conclure que cette absence de catalogue en langue française serait le énième avatar d’une guerre linguistique entre flamands et wallons. Cette explication ne tient pas la route. En effet, Gand, située à une quarantaine de kilomètres de la France, n’est pas une ville connue pour son rejet de ce qui est francophone. Par ailleurs, les cartels et le guide audio utilisent parfaitement la langue française comme langue d’accès à l’exposition.

Alors ? La bonne explication pourrait être l’impossibilité de trouver un éditeur prêt à prendre le risque d’une édition du catalogue en langue française. Si cela est le cas, cette situation est désastreuse pour ce que représente la France dans le monde de la culture. Désormais, un ouvrage scientifique destiné aux connaisseurs et experts n’a pas vocation à être édité en langue française. Le public français serait-il aussi peu instruit, curieux et important en nombre pour justifier l’absence d’une telle édition ? Répondre « oui » serait l’aveu d’une bien grande débandade de notre place et de notre rapport à la culture.

Il est étrange de voir qu’un musée tel que le musée Anne-de-Beaujeu à Moulins-sur-Allier, aussi petit, et situé à l’écart des grands circuits de communication, puisse trouver un éditeur pour ses catalogues d’expositions temporaires. La dernière exposition temporaire de ce musée a été consacrée à Marcellin Desboutin, peintre ignoré de la plupart des gens. Pourtant, un éditeur a produit un catalogue de très grande qualité, notamment du point de vue scientifique. Ce que le modeste musée Anne-de-Beaujeu peut, le grand musée des Beaux-arts de la ville de Gand ne le peut pas.

L’exposition « Van Eyck, une révolution optique », consacrée à un peintre qui a principalement travaillé pour la cour du duc de Bourgogne, où la langue officielle et parlée était le français, nous révèle le peu de place occupée désormais par notre pays et sa langue dans un projet aussi exceptionnel, véritable tour-de-force d’envergure internationale. En sortant de cette exposition, les yeux éblouis par ce que j’ai vu, une grande nostalgie m’a frappé, la nostalgie de la place perdue par ma culture et ma langue dans ce monde qui devient, chaque jour davantage, un vaste marché culturellement désincarné.

Fred Lecoeur

Pour plus d’informations : le site du musée de Gand