Le chanteur Christophe n’est plus. Artiste sublime dans ses compositions, sa voix et ses gestes, il avait l’élégance des baroudeurs félins et sophistiqués. Son décès est une lourde perte pour notre culture et une lourde peine pour ceux qui l’aimaient.
En ce jeudi 16 avril 2020, en début de soirée, Christophe s’en est allé, emporté par un barbare emphysème. Aucun artiste français, voire même étranger, n’avait atteint un tel degré de sophistication dans ses compositions et ses arrangements. Sa voix qui montait haut, pure comme un cristal, était immanquablement reconnaissable car unique. Christophe est emporté alors qu’il était en tournée et venait tout juste de sortir le deuxième volume de son album de duos.
Pour beaucoup, Christophe était l’interprète d’Aline, des Mots Bleus, de Succès Fou voire de Senorita. Ces titres ont la particularité d’être construits sur une mélodie entêtante et d’avoir fait danser nombre de couples dans des soirées où très vite les lèvres, encore humides de quelques boissons sucrées/alcoolisées, se scellèrent en un long baiser, gage de plus amples voluptés. Christophe, pour un public de plus en plus important, était aussi l’auteur/interprète de quelques chansons sublimes dont l’album Le Beau Bizarre est le phare étincelant. Et puis, il y a eu, un jour, ce nouveau public qui a acheté, pour des raisons plus ou moins claires, un album ayant pour titre le nom que l’artiste portait à l’état civil : Belivacqua. C’est sobre et ça claque comme un drapeau en prise avec un vent violent. Glissé dans le lecteur CD, l’album Bevilacqua a provoqué un choc et a frappé l’auditeur. A l’écoute, Bevilacqua est un ovni musical : richesse sonore rarement offerte sur ce type de support, un son d’une beauté absolue et une ambiance qui très vite se révèle être les bruissements et mélopées qui hantent l’esprit d’un génial bidouilleur de son et véritable poète. Après écoute, le titre de l’album s’impose avec naturel : le disque offre à entendre l’habillage sonore qui résonne dans la tête de Christophe, ce disque, c’est Christophe ! et Christophe semblait avoir une préférence pour cet album.
Christophe collectionnait les synthétiseurs. Il achetait, avec la fébrilité d’un gosse, de nouvelles machines. Avec ces instruments, il créait des sons, les triturait, leur donnait de l’écho, les compressait, ajoutait des filtres, les étirait, les accélèrait et les mélangeait pour essayer de traduire et matérialiser ces vagues invisibles qui nous accompagnent de l’intérieur et se nourrissent du monde qui nous entoure et dans lequel nous puisons allègrement détails et couleurs, sons et chaleur, amour et haine. Christophe mixait les sons des instruments avec ceux du monde extérieur : des moteurs, des oiseaux, divers bruits et des voix… celle, sublime, d’Isabella Rossellini.
Christophe, depuis l’album Bevilacqua, suivi de Comm’ si la terre penchait, Aimer ce que nous sommes et Les Vestiges du Chaos était devenu un artiste majeur qui semait dans le paysage musical des compositions exigeantes, troublantes. Des œuvres qui cassent le modèle traditionnel de la chanson pour aller vers autre chose. Les compositions de Christophe possèdent cette part de modernité, d’avant-gardisme et de prototype qui les rend à tout jamais hors mode et intemporelles. L’album Paradis retrouvé qui compile des maquettes et compositions non utilisées pour des albums est un magistral don pour comprendre le processus de création de Christophe et son rapport aux sonorités.
L’artiste était complexe et son long parcours dans l’univers musical français donnait une richesse particulière à ses concerts. Cette particularité créait une impression bizarre ; la grande majorité du public venait écouter Aline ou Les Mots Bleus. Pour tout autre artiste, il y aurait eu une sorte de déphasage entre ce qu’a été produit il y a 20 ou 30 ans et ce qui a été composé depuis 1996. Pour Christophe, tout s’enchaînait dans une somptueuse cohérence sonore. D’une part, des chansons comme Aline ou Les Mots Bleus, compositions originales, possèdent leur beauté et envoûtent par la justesse des mots collés à la musique, d’autre part, toutes les compositions de Christophe possèdent au moins deux points communs : la sensibilité de l’artiste qui se traduit dans les compositions et la voix de Christophe. Cette voix a son importance : elle grimpe dans les aigus, parait fragile et prête à fuir mais elle reste et s’entortille aux notes des instruments acoustiques et des synthés pour jouer à cache cache : tantôt mêlée aux autres sons, tantôt au dessus d’eux mais toujours reconnaissable et bien présente.
Christophe s’en est allé. Il a rejoint Alan Vega et tant d’autres. A compter de ce 16 avril 2020, notre pays a perdu l’un de ses plus incroyables artistes. Une étoile vient de s’éteindre mais son éclat scintillera encore longtemps au-dessus de ces petites galettes argentées, parsemées par Christophe dans nos discothèques.
Christophe, paix à ton âme géniale et merci, merci pour toutes ces choses, tous ces Petits Luxes que tu nous laisses.
Je vous invite à voir le shooting fait par PascaldeLyon lors d’un concert de Christophe, très belles photos… de notre photographe !
Fred Lecoeur