Arts

Mauvaises nouvelles de la Lune

Moon Martin, ovni de la planète Rock, vient de nous quitter à 69 ans. Il était l’auteur de disques remarquables et de quelques tubes planétaires dont Bad Case Of Loving You, admirablement interprété par Robert Palmer. Le public Français avait le premier reconnu le talent de Moon Martin.

Le 13 mai 2020, Rick Vito, guitariste, a posté sur sa page Facebook une très jolie photo en noir et blanc montrant Robert Palmer en train de parler à un jeune homme, très à l’écoute de ses paroles. Pourtant, en matière de paroles, c’est le jeune homme qui a su être écouté par Robert Palmer, au point que ce dernier interpréta l’une de ses chansons pour en faire un tube international : Bad case of loving you. Le jeune homme a pour nom Moon Martin. Il est mort le 13 mai 2020, de mort naturelle, à son domicile de Los Angeles. Moon Martin souffrait d’un cancer. Peut-être est-il mort usé par le crabe.

Moon Martin était un prodigieux songwriter : des mots simples mais justes, des mélodies efficaces et des guitares sublimes. Moon Martin a travaillé son écriture et son chant de 1971 à 1978. Au cours de cette période, il ne fera rien d’autre. Sa seule obstination : se perfectionner et acquérir son style. Ses compositions ont rencontré du succès avec d’autres interprètes : Robert Palmer ou Mink De Ville. La voix de Moon Martin, que certain ont qualifié de fausset, montait dans les aigus, était belle, pure et un brin ensorcelante. Il chantait avec un phrasé remarquable. Il avait la grâce de chanter des choses banales en les rendant primordiales, essentielles et rares. Pour comprendre la valeur et la rareté du talent de Moon Martin, il faut l’écouter chanter : « Every night the sun goes down / All alone my room gets dark / I wish I could shut down / This feeling in my heart / I got no chance of loving you / No chance at all », des mots simples, des choses banales mais polies comme un diamant.

Une trilogie restera dans l’histoire de la musique, les albums : Shots From A Cold Nightmare (1978), Escape From Domination (1979) et Street Fever (1980) édités chez Capitol. Dans ces albums, tout n’est que réussite, de la pochette de l’album, aux textes, aux orchestrations et aux guitares. Dans Street Fever se trouve l’un des plus grands succès de Moon Martin, l’indémodable Bad News. Une version live de cette chanson, aux sonorités qui ne sont pas sans rappeler The Doors, est à écouter dans l’album Bad News Live, enregistré au Plan à Ris Orangis, sous le label Fnac Music. Au début des années 1990, la Fnac avait lancé une maison de disque, Fnac Music et avait produit, en 1992, un album de Moon Martin Dreams On File. Ce bel album avait été suivi par une tournée française de Moon Martin et un live avait donc été publié en 1993 par la maison de disque française. Ce live est une réussite. La tournée française de Moon Martin aura été pour lui la découverte de sa popularité en France. Une découverte un brin douloureuse car le chanteur estimait que cette reconnaissance arrivait à un moment où il se sentait moins créatif.

Moon Martin, de son vrai nom John David Martin, était considéré à la fin des années 1970, et au début des années 1980, comme le Woody Allen de la chanson. Pourquoi cette analogie ? En raison de sa nature un peu dépressive, un peu fragile, pour la qualité de ses compositions et son allure d’intellectuel. Moon Martin avait l’air de quelqu’un qui vient d’ailleurs. Avec ses lunettes aux montures de couleur rouge, sa coupe au bol et sa timidité, il donnait l’image d’un artiste définitivement inclassable. Moon Martin était un solitaire. Il a fui la célébrité. Madonna l’avait sollicité pour qu’il lui écrive des chansons, il n’a pas donné suite. Moon Martin s’est isolé, on peut même dire retiré. Son dernier album date de 1999.

Le drame de Moon Martin aura de n’avoir jamais été raccord avec son époque ou plutôt que son époque n’a pas su reconnaître son immense talent à sa juste valeur. Sa musique aurait fait un malheur quelques années avant la production de ses albums phares ; la reconnaissance a eu lieu loin de son pays et il l’a découvert trop tard.

Musicien, il le sera resté jusqu’à la fin. Il a été retrouvé sans vie dans son studio d’enregistrement, gisant à côté de sa guitare.

Repose en paix, éternel rêveur.

Fred Lecoeur