Arts

Marcellin DESBOUTIN au musée Anne de Beaujeu

Cet été,  il est impossible de se présenter devant les guichets du Louvre si on n’a pas réservé sa place sur internet. Excès de fréquentation mais aussi excès de formalisme un brin moutonnier. Heureusement, les chemins de traverse réservent souvent des surprises agréables. Le Louvre est complet, vive les autres musées ! Prenons un chemin de traverse pour … Moulins (sur Allier), capitale du bourbonnais.

En route pour Moulins sur Allier

La ville se singularise par un patrimoine architectural remarquable : palais des ducs de Bourbon, églises, maisons anciennes. La ville possède aussi le premier bâtiment édifié en France de style Renaissance. Dans ce bâtiment, à l’origine partie intégrante du palais des ducs de Bourbon, se trouve le musée Anne de Beaujeu, le MAB pour les branchés et les amateurs d’acronyme.

Un MAB audacieux dans ses rétrospectives

Le musée est petit, en superficie, au regard de l’importance de ses collections. La scénographie intérieure est belle et moderne. Ce musée a eu la chance d’avoir à sa tête des conservateurs inspirés dans leur politique d’achat. Il est vrai, cette politique d’acquisition des œuvres a obéi à une histoire locale favorable aux arts. Moulins est la ville natale du poète Théodore de Banville. Ce dernier était le beau-père (voire le père pour certains) de Georges Rochegrosse, peintre inspiré et haut en couleur de l’Histoire, du mouvement Orientaliste et même Symboliste. Il y a quelques années, les œuvres de Rochegrosse se négociaient dans des prix raisonnables. Le MAB, déjà possesseur de toiles du peintre, en acheta sur le marché au point de constituer la première collection publique française d’œuvres de Rochegrosse. Du 29 juin 2013 au 5 janvier 2014, le MAB a consacré à cet artiste une exceptionnelle rétrospective. Le catalogue de cette exposition, rédigé par Laurent Houssais, est un ouvrage rare et remarquable pour tous ceux qui aiment l’œuvre de Rochegrosse et le mouvement orientaliste.

Marcellin DESBOUTIN, A la pointe du portrait

Aujourd’hui, et jusqu’au 15 septembre 2019, le musée présente une magnifique exposition consacrée à un peintre natif de l’Allier : Marcellin Desboutin. Pour le grand public, Marcellin Desboutin est un inconnu. Pourtant, il suffit de consulter un ouvrage sur Degas, Manet ou Berthe Morisot pour croiser Marcellin Desboutin. Ce dernier a fréquenté les principaux acteurs du milieu artistique français au cours de la période 1869 à 1902, année de sa mort. Manet ou Degas ont fait son portrait. Du temps des impressionnistes, Desboutin était un homme incontournable.

Un formidable portraitiste

Le MAB nous donne à voir un aperçu assez complet de l’œuvre de Desboutin : le peintre et le graveur. Le parcours proposé aux visiteurs est un voyage dans le Paris du dernier quart du 19ème siècle. On y croise Aristide Bruant, Eric Satie, Georges Feydeau, Henri Rochefort, Emile Zola, Alexandre Dumas fils, Octave Feuillet, George Sand, Eugène Labiche, Auguste Renoir etc… L‘exposition s’intitule fort justement «  A la pointe du portrait ». Desboutin est en effet un formidable portraitiste. Les traits sont justes et évocateurs de la personnalité du modèle. Les œuvres peintes ou gravées sont parfois juxtaposées avec des photographies d’époque. L’effet est troublant. Incontestablement le peintre n’a pas trahi son modèle mais plus que tout, il n’a pas trahi son art. Desboutin nous donne à voir plus que les simples traits du visage, il nous ouvre une fenêtre sur le caractère du modèle. C’est du grand art.

Desboutin  n’est pas qu’un grand dessinateur, il est aussi un peintre de talent. Sur ces toiles, on « ressent » la peinture. Les fonds, la carnation des visages, les textures tout est un espace d’épanouissement et d’étalement de la peinture à huile, des couleurs, sobres et percutantes. Peindre des portraits, c’est comprendre et maîtriser la lumière. Un sujet de prédilection de Desboutin est son propre visage. Nous croisons au fil des cimaises, de nombreux autoportraits de l’artiste. Attention, ne croyez pas qu’il s’agit de la preuve irréfutable d’un égocentrisme surdimensionné. Au contraire, ces autoportraits sont une déambulation dans la modestie et la recherche de la maîtrise d’un art. Desboutin, très influencé par Rembrandt, a peint des autoportraits saisissants de réalisme et de mystère.

Un peintre injustement oublié du grand public

Plus on avance dans cette exposition et plus résonne en nous cette lancinante interrogation : comment se fait-il que nous ne connaissions pas Desboutin ? Difficile, face à tant de maîtrise et de beauté, de ne pas s’interroger. Evidemment, Desboutin n’aura pas été un peintre à l’origine d’un nouveau courant artistique. Desboutin est de ceux qui utilisèrent la palette et le pinceau avec talent et sincérité mais sans l’audace du défricheur. Desboutin n’est pas de ceux qui tirèrent le chariot de l’humanité. La question est de savoir si, quelque part, il n’y aurait pas un peu de génie ce qui rendrait fort injuste le relatif anonymat actuel du peintre. Quand on regarde le portrait de George Lafenestre, mis en avant par l’affiche et le catalogue de l’exposition,  le portrait de la femme à la fourrure ou les autoportraits de 1891 ou 1896, on est interpellé, apostrophé, absorbé par ces toiles. Pourquoi ? Parce que ces toiles sont autre chose que des œuvres bien faites ; elles possèdent en elles cette petite chose que l’on nomme peut-être le génie faute de bien savoir donner un nom à ce qui nous dépasse et nous trouble.

L’exposition du MAB consacrée à Marcellin Desboutin donne au visiteur la chance de ressentir une émotion trop souvent absente face à des œuvres multi reproduites et surmédiatisées. L’intérêt des « petits » musées est indéniable pour ce genre d’expérience. Grace à des choix judicieux et hors des sentiers balisés, les musées comme le MAB redonnent aux visiteurs le privilège de ressentir ce qu’un marchand d’art, tel Durand-Ruel, devait ressentir en découvrant les œuvres présentées par un inconnu mais un inconnu hors norme.

Il est donc urgent de se rendre au MAB de Moulins pour parcourir cette belle et riche exposition sur Marcellin Desboutin.

Cette exposition est accompagnée d’un riche catalogue de 200 pages publié aux Editions Faton.

Fred Lecoeur

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