Ruy Blas de Victor Hugo, c’est du lourd, du costaud, une valeur sûre. Le texte de Hugo, magnifique, résiste à tous les lavages, à tous les essorages, à toutes les lessives, avec ou sans phosphates. Les adaptations classiques, conceptuelles, populaires ou d’avant-gardes n’entament pas la montagne Hugo. Même avec Gérard Oury, Ruy Blas a survécu : transformé certes, mais la bête était encore vivante.
Pour atteindre Ruy Blas, je veux dire l‘égratigner, l’affaiblir ou l’affadir, il faut viser au cœur même de la pièce, il faut tirer une flèche en plein cœur de Ruy Blas, je parle là du personnage.
L’adaptation proposée par la compagnie des 2 Lunes, au théâtre de l’Atelier 44, laisse un peu sur sa faim. La mise en scène et l’habillage gothique des lieux et des personnages donnent au drame de Victor Hugo un aspect des plus noirs et des plus inquiétants tout à fait réussi. Sur ce point, Maryan Liver démontre son talent. Le problème, c’est Ruy Blas et donc le choix fait par le comédien pour incarner ce personnage. Très vite, on prend conscience que quelque chose ne fonctionne pas et très vite, on a le sentiment que le comédien lui-même a cette prise de conscience sur scène. Le malaise devient total. Le comédien déclame le texte mais il ne le vit pas ! Il y a entre celui qui incarne Ruy Blas et le texte de Hugo un écran invisible, une frontière tenace qui donne au corps de Ruy Blas un aspect désincarné, peu convaincant car peu convaincu. On a du mal à croire que ce Ruy Blas aime une femme qu’il n’aurait jamais du imaginer aimer. Difficile de se convaincre que la reine d’Espagne puisse succomber aux déclarations de Ruy Blas alors même que son mari de roi la préfère à ses chasses. Le flyer de la pièce est orné de la phrase « Il est bien temps qu’enfin je me réveille », on est tout à fait d’accord mais le réveil n’a pas eu lieu, on est déçu. Ce malaise est d’autant plus renforcé que face à Ruy Blas, deux le comédiens incarnent majestueusement leur personnage. Don Salluste, interprété par Jacques Rebouillat, est pervers, inquiétant et malsain à souhait. Don César de Bazan, interprété par Thomas Bousquet, est impérial, nerveux, sensuel et intelligent à en devenir jaloux. Jacques Rebouillat et Thomas Bousquet ne déclament pas le texte de Victor Hugo mais ils le vivent en y mettant leurs tripes. Avec eux, on y croit. Grace à eux, Ruy Blas (la pièce) survit. Par leur entremise, on plonge dans les affres des conspirateurs et on devient pétrifié de se retrouver dans ce monde des bas-fonds et des crimes. Toutefois, je tiens à préciser que le comédien qui incarne Ruy Blas est mené à rude épreuve car il joue dans trois pièces du Off. Cet investissement, lourd pour un comédien explique sans aucun doute l’impression laissée par son interprétation de Ruy Blas.
La transposition gothique de la pièce de Victor Hugo est une bonne idée de Maryan Liver. La première scène, celle qui accueille le public est à ce titre visuellement magnifique. Cette transposition n’actualise pas le texte mais elle met l’accent sur le pourrissement moral qui entoure le pouvoir. Nous avons face à nous un Don César brillant et un Don Salluste dont la noirceur d’âme n’a rien à envier au Khôl gothique qui trace ses lignes obscures sur les visages blafards. Don César possède en lui un reste de lumière, un éclat de vie, un éclat d’en-haut que les bas-fonds ignorent. Le visage de Don César est orné de beaux losanges colorés. Ce visage est celui de la vie qui s’extrait d’un monde morbide.
Un Ruy Blas perfectible à voir pour sa transposition gothique, Don Salluste et surtout Don César.
Fred Lecoeur
Ruy Blas est joué à 18H55 au théâtre de l’Atelier 44 dans le cadre du Off d’Avignon jusqu’au 29 juillet 2018.