Dans un festival comme celui d’Avignon, il y a toujours dans le cœur du spectateur la petite espérance de découvrir un vrai joyau méconnu, forcément joué dans une petite salle et devant un public clairsemé, conditions essentielles pour que ce joyau soit à découvrir.
Par un soir de 14 juillet venteux et froid pour la saison, je me suis aventuré dans un dédale de rues étroites et désertes. Le palais des papes n’est pas très loin mais une étrange sensation d’être au bout du monde commença un travail de sape quant à ma motivation pour rejoindre un théâtre portant un beau nom : “le théâtre des Amants”. Heureusement, j’ai en moi une certaine ténacité, et je n’ai pas renoncé à rejoindre ce théâtre pour assister à la représentation de “Recrutement“, une pièce de Jean-Paul Le Guénic. Moins de 10 âmes en peine se sont retrouvées ce soir là pour constituer le fameux public clairsemé. Installés dans la salle, nous étions presque comme des candidats venus répondre à une proposition de job d’été…. Un homme en costume cravate est alors descendu d’un petit escalier pour rejoindre la scène. Le pauvre avait un air soucieux et fatigué, il venait de passer son entretien de recrutement pour XOrex, une multinationale ayant des antennes sur toute la surface du globe. Une femme, elle aussi candidate au recrutement, est venue le rejoindre dans cette salle de réunion transformée en salle d’attente pour des candidats anxieux de savoir si l’un d’eux ferait l’affaire et décrocherait le contrat tant convoité. On imagine l’ambiance dans ce genre de situation.
Allons droit au but : cette pièce est surement l’un des joyaux du Off à découvrir. Jean-Paul Le Guénic nous présente deux personnages assez peu semblables dans leur culture et qui lentement, mais surement, vont évoluer dans leur perception de l’autre et d’eux-mêmes. Le candidat masculin est interprété par Louis Donval. Il incarne un homme assez manichéen dans sa perception du monde du travail : une femme est surtout faite pour travailler dans les services sociaux tandis que les hommes sont plus aptes à diriger les entreprises et le monde. Et oui, c’est comme ça…. Isabelle Erhart, qui a mis en scène la pièce, interprète une candidate assez ouverte d’esprit et qui découvre effarée la structure mentale “dynosauresque” de son voisin. Ce qui est excitant dans cette pièce, c’est que sous des apparences de pensées ou visions du monde manichéennes, se cache toujours une réalité plus subtile. Les personnages, au fil de leurs échanges, se révèlent plus souples et complexes que l’on pouvait (et craignait de) le croire : ils évoluent tout le long de la pièce et le public aussi change ses jugements sur les personnages. C’est comme si un double mouvement d’évolution des structures mentales s’opérait et sur scène et dans la salle. Prouesse rare au théâtre.
La réussite de cette pièce repose sur deux piliers :
1°) Le texte :
C’est un beau texte, plein d’esprit, de bons mots et visiblement écrit par quelqu’un qui connaît très bien le monde de la grande entreprise. Tout sonne juste et on apprend beaucoup de chose sur les directeurs de grandes entreprises et les commerciaux. Les sonorités des phrases sont belles. Il y a de la musicalité dans cette pièce. il y a aussi beaucoup d’humour : on rit de certaines visions du monde des personnages et on sourit beaucoup après avoir été estomaqué par des réparties dont on ne doute pas qu’elles trouvent, hélas, leur place dans le monde du travail.
2°) Les acteurs :
– Louis Donval donne à son personnage toute la lassitude, la gêne, les certitudes, les hésitations et les troubles résultant de sa confrontation à cette femme si moderne par rapport à lui. L’acteur est captivant par sa diction, ses silences, ses replis comme sonnant une défaite, puis ses élans redonnant souffle à son personnage.
– Isabelle Erhart construit un personnage sympathique en prise avec les poncifs d’un homme du passé. Elle donne à son personnage une force et une présence captivante. Ses regards, ses intonations, sa gestuelle sonnent toujours juste. Toujours prête à offrir des cookies, elle met le public de son côté….
Très vite, les deux acteurs accrochent l’attention du public qui assiste à leurs échanges. On se plait à les écouter car les voir et les entendre génèrent un réel plaisir théâtral. Leur charisme est indéniable.
La mise en scène quant à elle est sobre. L’action se passe exclusivement dans une salle de réunion devenue salle d’attente, difficile dans ce contexte de construire une mise en scène complexe. Néanmoins, force est de constater que l’on ne s’ennuie pas une seconde pendant cette représentation. Les affiches promotionnelles de XOrex sont assez réussies dans le cynisme.
“Le recrutement” est un beau joyau du festival. Il surprend en permanence le public car derrière une apparence manichéenne de l’univers mental des personnage se révèlent d’incessantes complexités. Je ne vous raconterai pas la fin de la pièce mais vous ne serez pas déçu.
“Le recrutement” a lieu au théâtre des Amants à 21 heures 45.
Le texte est édité aux Editions du Petit Théâtre de Vallières.
Fred Lecoeur
(Publication initiale : 14 juillet 2016)