Théâtre

L’Amant de Harold Pinter au off d’Avignon 2016

Avignon 2016. Le théâtre de l’Albatros présente l’Amant de Pinter. Un classique mais un classique porté à un tel sommet de qualité théâtrale que l’œuvre de Pinter procure un sentiment à la fois jouissif (le plaisir du spectateur) et inquiétant ( la situation absurde de ce couple). La réussite de cette pièce est due aux deux acteurs qui portent haut le texte de Pinter, Sébastien Rajon à la diction superbe, Laure Portier, expressive et fragile à souhait, et bien sur à Marie Aline Cresson qui signe une mise en scène inventive, dynamique et élégante.

L’amant nous raconte l’histoire d’un couple dont chaque membre s’octroie la liberté d’aller voir ailleurs pour satisfaire ses besoins érotiques et sexuels. Madame reçoit l’après midi dans l’appartement de son mari qui lui voit parfois, au lieu de se rendre à son bureau, une putain pour se distraire. C’est un accommodement négocié pour l’épouse et une liberté que s’accorde le mari. Le problème est que cette situation de libertinage ne convient plus au mari. Ce dernier trouve sa femme trop bien satisfaite de cette situation. Madame trouve t-elle le bonheur dans cette situation où elle devient la maîtresse d’un autre homme ? La réponse est non. Son libertinage prend des allures de fuite en avant et la raison semble s’échapper de cette pauvre tête aimante et qui voudrait être aimée.

Sébastien Rajon joue le rôle du mari et de l’amant. Le texte de Pinter et la mise en scène de MA. Cresson nous conduisent au bord de l’abime quand le mari est à la fois l’amant et la maîtresse la putain. Personne ne trouve son compte dans le libertinage de ce couple qui n’a pas su associer le plaisir charnel aux alliances pourtant tatouées au cou comme si leur union s’inscrivait dans leur chair et portait ainsi la sentence que leur avenir d’homme et de femme était irrémédiablement lié.

Laure Portier est sublime dans son jeu où se mêle la fragilité d’une femme qui perd pied et la fatalité de sa condition d’épouse et de dépossédée de l’Amour avec un grand A. Sébastien Rajon est lui aussi sublime en homme jaloux et inquiet, en homme qui veut briser les termes d’un accommodement qui ne peut conduire son couple que dans un avenir stérile …et sans enfants. L’acteur impressionne par ses regards, son phrasé, la manière de mouvoir son corps. Et le sublime absolu est la rencontre entre ces deux acteurs : leur couple fonctionne, ils donnent de la crédibilité à ses deux êtres qui flirtent avec la folie. Rajon et Portier semblent l’équation parfaite pour porter cette pièce de Pinter et subjuguer le public.

L’espace scénique est occupé par quelques éléments qui représentent l’appartement : le canapé dans lequel Madame s’allonge pour recevoir son amant et la fenêtre par laquelle les deux époux contemplent le vide et l’incongruité de leur vie de couple sont des lieux où se noue et se dénoue le drame. L’espace temps est ponctué d’extraits musicaux, le plus souvent joué dans l’obscurité, qui découpent les journées et permettent aux acteurs de passer d’un état psychologique à un autre.

Cette pièce est une réussite. Elle est jouée à 20h30 au théâtre de l’Albatros.

Fred Lecoeur