Didier Porte présente au théâtre des Corps Saints “Jusqu’au bout !” tandis qu’Aymeric Lompret présente à la Maison IV du chiffre “C’est trop pour moi“. Deux spectacles en bien des points situés aux extrémités de la planète du rire mais qui possèdent un énorme point commun.
Assister au spectacle de Didier Porte a quelque chose de troublant. Une impression de temps figé. Je me souviens avoir assisté à des enregistrements du fou du Roi où intervenait Didier Porte. Et bien, ni le ton, ni les sujets, ni la manière de rendre comique une situation n’ont changé. Voir Didier Porte, c’est franchir les couloirs du temps pour entendre un comique du début du 21eme siècle. On rit, car Didier Porte fait partie de ces gens qui vous font rire par une simple intonation de voix ou inclinaison de tête. On rit aussi parce que Didier Porte est investi d’une charge émotionnelle par son public. Le comique a depuis longtemps suscité de la tendresse auprès de ses admirateurs au moins depuis son limogeage de France Inter. Malheureusement, on rit à la façon dont aujourd’hui on rit en visionnant pour la nième fois la Grande Vadrouille : on connaît le texte, on sait quand la chute va arriver ….bref on ne prend pas le risque d’être surpris. Pour un comique dit de gauche, cette prestations bourgeoise et conservatrice surprend. On rit mais on est triste si on prend au pied de la lettre ce que dit Didier Porte. Ce dernier nous fait ses adieux, il nous présente ce spectacle comme étant sa dernière prestation scénique. C’est en nous gratifiant d’un salut voisin du funérarium que Porte nous quitte. Cette déclaration alourdi l’atmosphère et cette lourdeur est renforcée par le peu d’allant physique de Didier Porte. Le public quitte alors la salle avec la désagréable impression de perdre un ami.
Aymeric Lompret est un jeune comique nordiste. Sa jeunesse permet d’échapper aux reproches faits à Didier Porte, on n’assiste pas à la nième diffusion d’un spectacle. Aymeric Lompret entretient avec le public une relation un peu désinvolte : annulation d’un spectacle en raison de la finale de la coupe d’Europe, tentative de cloper sur scène heureusement freinée par un sursaut d’élégance du comique qui demande quand même si cela ne gêne personne, port d’une chemise blanche auréolée de taches d’encre (on comprend à la fin du spectacle la dure vie de cette chemise), et consommation de bière pendant la prestation (mais la aussi Lompret est élégant, il propose de partager son pack de bière).
Ce qui frappe d’emblée, c’est la capacité à occuper la scène : Lompret occupe l’espace et suscite l’attention. Cest vital pour un individu seul sur scène. Lompret est lassé. Il aimerait ne pas faire son spectacle…bref il rechigne et nous fait part de ses aventures auprès de paumés qui, comme lui, cherchent une sortie heureuse dans ce monde pesant. Le spectacle souffre de quelques facilités d’écriture et incohérence : Lompret nous parle de Jean-Claude parti à la guerre en Afghanistan poussé par l’amour de la patrie et la volonté de la défendre puis Lompret nous dit plus tard que Jean-Claude a tout fait pour se faire réformer….Lompret nous parle de la première guerre mondiale où les allemands poussés par la volonté de prendre l’Alsace et la Lorraine nous ont attaqué…sauf que l’Alsace et la Loraine étaient dans l’empire allemand depuis 1870. Enfin, de façon étonnante et totalement non percutante, Lompret nous parle D’Alain Soral. Tous ceux qui suivent Ruquier, Ardisson, Drucker et autres piliers de la télé ont bien du se demander qui était ce type et pourquoi Lompret a développé une partie de son spectacle sur un personnage inconnu du grand public et qui n’est pas aux manettes du monde…. Fiasco comique.
Ce fiasco comique est un fiasco de l’impertinence, un fiasco de la critique du monde, des puissants et des mensonges qui entrainent notre planète dans le chaos et la déprime. Ce fiasco est le point commun avec le spectacle de Didier Porte. Qu’il est loin le temps de Coluche ou de Desproges. Le comique, le vrai, est celui qui ne s’écarte que de quelques millimètres de la réalité du monde pour en montrer son absurdité et ses outrances, pour montrer et moquer les puissants qui, par leurs décisions, nuisent au plus grand nombre. Quand Didier Porte nous parle de Morano, cela ne fait pas avancer les choses dans le dévoilement des impostures contemporaines car Morano n’a aucun réel pouvoir. Quand Aymeric Lompret se moque de la guerre, son discours part à vau-l’eau dès lors qu’il associe défense de la patrie à guerre en Afghanistan. Tout le monde sait que cette sale guerre n’a jamais été mise en œuvre sous le prétexte fallacieux de la défense de la patrie. Il aurait été plus fin de se moquer des vrais motivations de cette guerre. Au lieu d’entendre des comiques se moquer confortablement de personnages sans réelles prises avec la marche du monde (Morano, Soral), j’aurais pour ma part aimé entendre des comiques partir de cette célèbre déclaration de Madeleine Allbright, ancienne secrétaire d’Etat américain toujours en influence dans les cercles du pouvoir, prononcée sur CNN “cela valait la peine de tuer un demi millions d’enfants irakiens pour envahir l’Irak” pour nous faire rire et rire jaune du cynisme des cercles du pouvoir. Hélas, pour cela, il ne faut pas construire des spectacles plan plan où l’on tape sur les 5ème roues du carrosse pour faire rire facilement un public bienveillant.
Fred Lecoeur
(Publication initiale : 12 juillet 2016)