Croissance reviens !
L’église de la très Sainte-Consommation (ETSC) est l’une des églises les plus secrètes de par ce monde. On prétend que des messes sont données par les prêtres et vicaires de cette église dans l’enceinte de Davos ou dans les propriétés secrètes du FMI. Episodiquement, quand les droits des riches sont odieusement et brutalement remis en question dans les médias, le plus souvent sous la pression des pauvres qui refusent de travailler plus de 35 heures par semaine et de prendre leur retraite à 80 ans, l’église de la très Sainte-Consommation organise sa visibilité pour exorciser le consommateur qui doute, rappeler aux riches qu’ils ont des droits sur le monde et banaliser le culte de l’argent et de la consommation.
A la tête de cette église se trouve le Pap’40. Le personnage est sulfureux et parfois inquiète la sphère politique lilloise. Aux dernières élections municipales, le père Giuseppe (il n’était pas encore définitivement Pap’40) s’était présenté aux élections municipales contre le gauchisme rampant et usé du Nord. Son affiche électorale le représentait portant autour du cou un énorme symbole de l’Euro et, en fond d’affiche, un yacht côté mer et un jet privé coté ciel. L’affiche avait sidéré bon nombre de lillois qui voyaient enfin le capital dont on leur parlait tant. Visiblement, ce capital ne portait ni cornes, ni queue fourchue. Convaincu de son succès, le père Giuseppe avait même indiqué dans son agenda le jour et l’heure du pot de départ de Martine Aubry, vaincue assurément par l’église de la très Sainte-Consommation. L’ETSC (ça fait école de commerce) avait obtenu 3,55% des voix aux élections ! Pas assez pour remplacer les distributeurs d’eau de l’hôtel de ville par des distributeurs de champagne, mais score suffisant pour interloquer les politiques qui se trouvaient confronter à un martien. Pour certains électeurs, ce score était la confirmation définitive que tout part en boudin dans notre société, mais pour d’autres électeurs, et notamment ceux assujettis à l’ISF, ce score était comme un vent nouveau. Désormais, il ne fallait plus avoir honte d’être riche, d’aimer l’argent et de dépenser sans compter !
Cette longue introduction était nécessaire pour présenter Croissance reviens ! Il ne s’agit pas d’une injonction mais d’une prière ferme adressée au Dieu Argent. Prière, car le Pap’40 invite le public à une messe. Il s’agit de prononcer des sermons, d’exorciser celles et ceux qui douteraient du capital et de la valeur universelle et rédemptrice de la consommation, du crédit et du pèze.
C’est donc dans une salle qui ferme ses portes à triple gonds que le Pap’40 va officier, accompagné de son cardinal triple A (généreusement noté par les agences mondiales). Sur scène, un autel, des instruments liturgiques, bref tout le nécessaire pour la purification des âmes. L’entrée du Pap’40 est des plus remarquable et attendrissante : il arrive jouant avec le globe terrestre accompagné d’une musique délicate, éthérée. Le public est immédiatement suspendu à ce moment de grâce qui ferait passer les plus belles scènes de Bambi pour un film froid. Mais soudain, patatras… le Pap’40 s’approche du premier rang du public avec le globe terrestre. Le public est ému aux points les plus extrêmes de ce sentiment, car chacun s’attend à voir le doigt auguste du Pap’40 nous désigner le lieu terrestre de sa somptueuse propriété…. Mais rien ne se passe comme prévu…le Pap’40 va…. sodomiser la Terre…. Bon… on sait que souvent on l’a dans le c.. , mais là, de façon aussi globale et collective, on ne s’y attendait pas.
Croissance reviens ! est une juxtaposition de sermons et d’actes d’exorcisme destinés à nous purifier. Parfois les enchainements pourraient être perfectibles, parfois on serait tenté de trouver un brin vulgaire le Pap’40 car ne le cachons pas, il aime jouir…et il ne va pas s’en priver pendant la messe. Le moment paroxysmique de la cérémonie aura lieu lorsque le Pap’40, vêtu de son étole brodée MacDo et autres logo de multinationales, va nous présenter la chair et le sang du Christ. L’heure est blasphématoire et pathétique. La chair est un cheeseburger (froid sans doute) et le sang, une canette de Coca (fraîche on l’espère). Ce moment sera vécu par le public au ralenti. Avec horreur et inquiétude, nous assistons à la mise en bouche, en 10 secondes, du cheeseburger et à l’absorption de la boisson gazeuse. Le visage du Pap’40 se déforme, se gonfle, se déshumanise comme s’il était victime d’un martyre. Le Pap’40 mastique, mastique et essaye de contrôler la descente de toutes ces matières qui encombrent et déforment sa bouche. Le moment est pathétique car la scène révèle les petits yeux de mammifère du Pap’s 40, qui pointe son museau en avant, sans doute pour faciliter la réduction en bouillie du cheeseburger. On aurait presque envie de souffleter l’animal, histoire de lui montrer que les patrons c’est nous et bien nous….Et soudain, il avale tout dans un grand silence de la salle effarée. Heureusement, par la sainte production d’un tonitruant rôt, nous avons confirmation que tout est désormais bien dans l’estomac du Saint homme.
Soyez geek, fortuné, arrogant, intéressé, boursicoteur, égoïste, frivole, amateur de caviars, de porche, de champagne, d’IPhone, nostalgique des colonies, de l’esclavage… vous vous sentirez aimé et respecté par le Pap’40. Ne proclame t-il pas ,qu’aujourd’hui, on a plus le droit de manquer de caviar et de foie gras ?
Croissance reviens ! est un spectacle atypique, perfectible mais oh combien déjanté et loufoque. Ses défauts (limités) ne doivent pas rebuter. C’est à voir, et c’est en tout cas un moment de grande comédie joué par un Alessandro Di Giuseppe transfiguré dans son combat pour sauver les riches et tourner en ridicule le consumérisme généralisé….
La messe a lieu à la Maison IV du chiffre à 15 heures 15.
Fred Lecoeur
(Publication initiale : 18 juillet 2016)