Le musée des beaux-arts d’Arras a présenté jusqu’au 20 mars 2016 une exceptionnelle exposition intitulée « Arras vous fait sa cour » ou le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre. Exceptionnelle n’est pas un vain adjectif car cette exposition le méritait pour au moins deux raisons : la possibilité de voir les marbres originaux de Latone et de l’ensemble statuaire d’Apollon servi par les nymphes*. Les visiteurs du château, et plus particulièrement de son parc, ne peuvent voir que des copies de ces chefs d’œuvre, les originaux ayant été remplacés pour leur préservation.
Le groupe d’Apollon servi par les nymphes, de François Girardon et Thomas Regnaudin, est une œuvre où « la sculpture antique, et spécialement hellénistique, commande les types et les drapés dans un groupement habile dont on a pu rapprocher la tenue dans l’espace des compositions de Poussin. Il faut retenir cet ensemble comme typique de la transposition moderne des formes antiques et d’une audace inventive qui ne va jamais au bout de l’extravagance baroque » selon André Chastel.
François Girardon est l’auteur de « l’enlèvement de Proserpine » pièce centrale de la Colonnade du parc de Versailles, aujourd’hui remplacée par une copie, du tombeau de Richelieu et d’une autre admirable statue du parc du château : l’Hiver. On le sait moins, mais la statue équestre de Louis XIV livrée par le Bernin, dont une copie en bronze est placée à l’entrée de la pyramide du Louvre, est en partie l’œuvre de Girardon : le roi n’aimant pas cette œuvre du Bernin avait demandé à Girardon de retravailler la tête. Thomas Regnaudin est un sculpteur moins talentueux, plutôt habitué à travailler sous les ordres de grands maîtres. Ici, le travail est principalement dû à l’immense François Girardon.
Apollon servi par les nymphes est un ensemble de sept statues créé pour orner la grotte de Téthys**, lieu de plaisirs et de fêtes qui avait été conçu pour Mlle de la Vallière mais terminé sous la Montespan. Ce lieu et l’ensemble statuaire Apollon servi par les nymphes appartiennent à la période précédant l‘achèvement de la construction du vaste et majestueux château de Versailles tel qu’il se présente de nos jours. En 1666, (le château de Versailles sera inauguré par l’installation définitive de la Cour en 1882) c’est le temps des plaisirs, de la sensualité, de la jeunesse, des corps qui se dévoilent dans la beauté de leur forme et l’évocation des désirs. Rien de vulgaire, tout est délicatesse, caresses et ivresse. Apollon servi par les nymphes appartient à une période où les tabous n’interdisaient pas le dévoilement des corps y compris celui du Roi. La vie est aussi le moment des plaisirs charnels et des troubles suscitées par l’esthétique et la plastique des formes. Ce fut une période privilégiée, où les fêtes prévalaient sur les guerres et les interdits religieux. Mme de Maintenon était loin et n’aurait surement pas gouté à ces plaisirs que sa rigueur morale aurait qualifié de décadents et de païens. Etrange période où le Roi très chrétien associait son nom, son image et son pouvoir de séduction à un dieu antique ; où le Roi empruntait certains traits de l’Apollon du Belvédère ; étrange période où « tout un peuple de statues fut déversé régulièrement sur les terrasses et les allées de Versailles ». Le parc de Versailles est une anthologie de la sculpture antique grâce aux copies d’antiques obtenues par l’académie de France à Rome. Une anthologie antique mais aussi un formidable laboratoire de réinterprétation de la statuaire antique où le dieu de la beauté est le Roi ; où les dieux sont des invités permanents de la Cour et des plaisirs du Roi ; où la statuaire française va définir son style épuré et sensuel comme en réplique au déferlement du baroque.
Mais remontons le temps et arrêtons nous à la création de cette fameuse grotte de Téthys et à l’ensemble d’Apollon servi par les nymphes. Cette création est collective : Charles Perrault, l’auteur des contes de ma mère l’Oye, imagina l’iconographie de la grotte de Téthys en n’oubliant pas que la plupart des décorations de Versailles projetées à Versailles se rattachaient à la fable d’Apollon et du Soleil. Laissons parler Charles Perrault : «Je songeai donc qu’à l’autre extrémité du même parc, où était cette grotte, il serait bon de mettre Apollon, qui va se coucher chez Téthys après avoir fait le tour de la terre, pour représenter que le Roi vient se reposer à Versailles après avoir travaillé à faire du bien à tout le monde. Je dis ma pensée à mon frère le médecin (Claude), qui en fit le dessin lequel a été exécuté entièrement, savoir : Apollon dans la grande niche du milieu, où les nymphes de Téthys le lavent et le baignent . ( …) M. Le Brun, lorsque le Roi eut agréé ce dessin, le fit en grand et le donna a exécuter, sans presque rien y changer, aux sieurs Girardon et Regnaudin, pour le groupe du milieu (…) ». Ainsi, le magnifique groupe statuaire d’Apollon servi par les nymphes a été imaginé, conçu et réalisé par Charles et Claude Perrault, Charles de Brun, François Girardon et Thomas Regnaudin. La création de ce groupe fut particulièrement longue : les premiers modèles furent payés dès 1666 mais le parfait paiement pour les marbres date seulement de 1677.
Où a été sculpté ce groupe ? Nous ne le savons pas mais on peut raisonnablement penser que les formes sublimes de ces statues sont sorties des monolithes de marbre dans l’atelier du Louvre de Girardon tout comme son autre chef-d’œuvre l’enlèvement de Proserpine sculpté au Louvre et transporté à Versailles.
La grotte de Téthys et Apollon servi par les nymphes constituaient un décor hors du commun et féérique. La grotte présentait un intérieur franchement rococo, où un nombre presque infini de globes de cristal, parmi un amas confus de gouttes et d’atomes d’eau, répercutait la lumière de bougies invisibles.
Nous sommes le 19 juillet 1674, lors d’une grande fête donnée au château de Versailles où la grotte servait de fond à un théâtre. Un témoin nous rapporte ce qu’il a vu : «La grotte était éclairée d’une quarantaine de girandoles de cristal posées sur des guéridons d’or et d’azur et d’une infinité d’autres lumières (…) La table de marbre qui est au milieu était environné de quantité de festons de fleurs et chargée d’une grande corbeille de même. Au fond des trois ouvertures, l’on voyait les trois grandes niches où sont ces groupes de figures de marbre blanc dont la beauté du sujet et l’excellence du travail font une des grandes richesses de ce lieu. Dans la niche du milieu, Apollon est représenté assis et environné des nymphes de Téthys qui le parfument (.. .) Du haut de la niche du milieu tombe, derrières les figures, une grande nappe d’eau qui sort de l’urne que tient un fleuve couché sur une roche ; cette eau qui s’est répandue au pied des figures dans un grand bassin de marbre retombe ensuite jusqu’en bas par de grandes nappes (…) Mais toutes ces cascades, étant alors éclairées d’une infinité de bougies qu’on ne voyait pas, faisaient des effets d’autant plus merveilleux et plus surprenants qu’il n’y avait point de goutte d’eau qui ne brillât du feu de tant de lumières et qui ne renvoyât autant de clarté qu’elle en recevait».
Cette grotte a été détruite en 1684. Les œuvres qui la décoraient ont été préservées. Apollon servi par les nymphes occupa ainsi 4 lieux différents, le dernier, et actuel, étant la grotte dessinée par Hubert Robert. Grotte dont l’accès est ouvert au public lors des Grandes eaux de Versailles. Désormais, cette grotte d’Hubert Robert, portant le nom des bains d’Apollon, abrite la copie d’Apollon servi par les nymphes . Le musée d’Arras offre aux visiteurs de l’exposition de voir le groupe statuaire original. Les photos illustrant cet article ont été prises dans le cadre de cette exposition. Ce sont donc des clichés des œuvres originales de 1666/1677. Vous trouverez des clichés supplémentaires sur le site du photographe Pascaldelyon où un diaporama permet d’admirer cet ensemble statuaire dans toute sa beauté. Toutes les photos de cet article sont de Pascaldelyon.
* Les nymphes sont des divinités féminines de la nature, caractérisées par la jeunesse et la beauté. Elles peuplent la plupart des lieux : forêts et bois, vallées fertiles et bocages, sources et rivières, montagnes et grottes. Elles sont souvent associées à des divinités supérieures comme Apollon.
** Téthys est une déesse marine de la mythologie grecque. Elle est la benjamine des Titanides, fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre), sœur et épouse d’Océan. Elle personnifie la fécondité marine et chaque soir, elle reçoit le Soleil qui vient se coucher au terme de son voyage céleste.
Références :
Le musée national de Versailles par Pierre de Nolhac, 1896
La création de Versailles par Pierre de Nolhac, 1925
Les fêtes de Versailles, chroniques de 1668 et 1674 par André Félibien, édition moderne de 1994
L’art français, 17ème et 18ème siècle par André Chastel, 1995