Soumission de Houellebecq, c’est l’histoire d’une double renaissance : celle de François, professeur d’université, qui, à l’aube de la cinquantaine, va entamer une nouvelle vie ; celle de la France qui, au lendemain d’un scrutin présidentiel, va retrouver prestige et poids politique en modifiant profondément son fonctionnement sociétal et politique.
François est un professeur d’université sans grande envergure dont le seul fait de gloire est la rédaction de sa longue thèse sur Joris-Karl Huysmans. Personne ne lit sa thèse mais elle lui assure un minimum d’aura auprès de ses collègues. A l’approche de la cinquantaine, François se prépare à vivre avec les défaillances de son corps. Célibataire, il mène une vie paresseuse, rythmée par l’arrivée de nouvelles étudiantes à chaque rentrée universitaire ; nouvelles étudiantes dont l’une deviendra sa pouliche pour l’année. La vie de François est morne. Sa sexualité est exclusivement hygiénique, matérialiste. La femme est réduite à un corps dont il faut remplir tous les orifices. On retrouve la tendance “houellebecquienne” à faire de la sexualité un simple frottement de viscères pour atteindre une éphémère extase. Comme pour Marc-Aurel, le sexe chez Houellebecq est dénué de poésie et de tendresse ; il en sera d’autant plus facilement tarifé et François aura recours a des escortes pour assouvir sa fonction copulatrice.
La France est usée jusqu’à la corde par le clivage gauche/droite. Le personnel politique est coupé de la population et le chef de l’Etat n’est plus qu’une pâle et pathétique marionnette qui débite des éléments de langage stéréotypés qui font rire les rares journalistes couvrant encore les interventions présidentielles. « Je me rendais bien compte pourtant, et depuis des années, que l’écart croissant, devenu abyssal, entre la population et ceux qui parlaient en son nom , politiciens et journalistes, devait nécessairement conduire à quelque chose de chaotique, de violent, (…) La France (…) se dirigeait (…) vers la guerre civile. » Un nouveau parti va remporter les élections ; un parti revendiquant ouvertement son ancrage religieux : la Fraternité musulmane. La France se retrouve avec un président musulman. L’UMP et le PS ne sont plus rien dans le jeu politique. Cette élection va-t-elle déclencher une guerre civile ? Non. Il y aura bien quelques soubresauts sanglants mais ils seront sporadiques et limités. L’accession au pouvoir de la Fraternité musulmane va curieusement être l’amorce d’une renaissance du pays entrainant celle du personnage. La France recompose son système social et économique : rapidement les femmes retournent à leur foyer faisant ainsi fondre les chiffres du chômage. La polygamie est autorisée et les conversions à l’Islam se multiplient. Les hommes auront leurs épouses, sans doute une pour la cuisine (la plus âgée) et une autre pour la bagatelle (la plus jeune). François y trouvera son compte et, au prix d’une conversion à l’Islam, il entamera une nouvelle vie que l’on devine occupée par ses femmes ; il entamera aussi une nouvelle carrière universitaire ou cette fois ci, il sera désiré et même courtisé.
Dans le livre de Houellebecq, la France se recompose en remettant au cœur de la société la famille. La famille est la brique de base du nouvel ordre, mais attention, c’est une famille ordonnée autour du mâle reproducteur lequel assumera sa fonction de procréation avec l’aide de ses épouses. Houellebecq aime un monde où l’homme reprend son rôle de chef de tribu. C’est pour ça qu’il aime l’Islam, religion oh combien poétique et raffinée mais oh combien centrée sur le modèle masculin dominant. Le Christ est trop féminin. Les chrétiens pas assez macho… La vision du futur proposée par Houellebecq est en ce sens pauvre et non inventive. Pauvre, car l’Islam est un brin caricaturée : la femme en Iran n’est pas interdite de travail et la vision machiste du mâle entouré de ses femmes dans une polygamie revendiquée est surtout une vision de l’Islam propre au régime des Saoud en Arabie. Dans l’univers de Houellebecq, la famille, fondement essentiel de la civilisation, est centré sur le mâle. Le féminisme que vomit le personnage, l’homosexualité qu’ignore François, le PACS ou le mariage pour tous qui s’atomisent dans le néant n’apparaissent pas comme des éléments pouvant infléchir la vision traditionaliste de la famille. L’islam est présentée comme une religion plus vraie que le christianisme. L’Eglise catholique, à force de compromission et concession, s’est montrée « incapable de s’opposer à la décadence des mœurs, (…) de rejeter nettement, vigoureusement , le mariage homosexuel, le droit à l’avortement et le travail des femmes ». La charge est rude et destinée à faire réagir ! L’Europe est parvenue à un degré de décomposition répugnant dans le monde où vit François. Avec l’Islam, la création divine est parfaite, c’est un chef d’œuvre absolu alors que le christianisme qualifie Satan de « Prince de ce monde ». L’alternative ne peut donc que résider dans un retour à la religion et la religion susceptible de mieux donner force à cette alternative est l’Islam en raison de sa conception intrinsèquement positive du monde. Certains trouveront la vision de Houellebecq (renaissance par un retour à la religion et réinstauration de la famille dirigée par un mâle dominateur au cœur de la société) rétrograde, datée et profondément conservatrice. Ils n’auront pas tort car même si la France de demain décrite par Houellebecq se transforme radicalement dans une formule inédite pour ce pays, au fond, il ne s’agit que de ré instaurer un système ancestral, tribal et peu humaniste…. mais François vomit aussi l’humanisme.
Il est surprenant de voir à quel point la conception du monde et des rapports entre les individus est basée sur le matérialisme : si François se convertit à l’Islam…..c’est pour bénéficier de la polygamie et d’un poste bien rémunéré à l’université ; si la France va mieux, c’est parce que les femmes sont expulsées du marché du travail pour mieux se soumettre aux mâles, cœurs nucléaires de la famille ; si François baise, c’est dans le cadre de prestations tarifées. Le monde décrit par Houellebecq est parfois désespérant et systématiquement désenchanté. Le régime politique vacille, les élections risquent de bouleverser l’équilibre classique gauche/droite et que font les français de confession juive ? Et bien, ils quittent le navire avant les résultats des élections pour s’installer en Israël et s’étendre sur une plage de Tel Aviv. Il y aurait donc des français qui placeraient leur religion au-dessus de leur citoyenneté française et qui n’hésiteraient pas à quitter la France quand les choses sont suspectées d’aller mal… vision et constat déprimant et désolant. Là, Houellebecq frôle le risque d’être accusé d’antisémite…
Le ton de Houellebecq est inchangé : on rigole bien de certaines descriptions. Que ce soit la bêtise de Bayrou, « Ce qui est extraordinaire chez Bayrou, ce qui le rend irremplaçable (…) c’est qu’il est parfaitement stupide », ou la supposée décrépitude soudaine des femmes à un certain âge, l’écriture fait mouche : « Hâve, mal rasé, la cravate de travers, il donnait plus que jamais l’impression d’avoir été mis en examen au cours des dernières heures » (à propos de Jean-François Copé). On découvre évidemment un Houellebecq centré sur les effets de l’âge sur le corps, sur la sexualité qui s’étiole, sur la survie en milieu hostile car quand on est fragile, tout milieu est hostile. L’auteur précise en fin d’ouvrage qu’il n’a pas fait d’études universitaires et remercie une personne de l’avoir aidé pour décrire ce milieu. L’auteur ne remercie personne pour les connaissances apportée sur la décrépitude, les hémorroïdes ou le sexe tarifé…il parle donc en connaisseur.
Houellebecq cite Huysmans tout le long de son roman. Les ouvrages de Huysmans portent des titres qui résonnent avec l’efficacité de panneaux routiers plantés au fil des pages : « En route », « En rade », « La-bas », « A rebours », « En ménage » etc.. et pourquoi pas « En rut »….Le choix de Huysmans est évident car ce dernier était relativement misanthrope et sur ce point la complicité avec Houellebecq est totale. Difficile de croire que Houellebecq puisse poser sur les hommes un regard bienveillant tant sa sécheresse de cœur fait sécher l’encre avant d’avoir pu écrire un mot d’amour.
Est ce un livre intéressant ? Oui ! Est-ce un grand livre ? Non ! Il est digne d’intérêt car « Soumission » fait partie d’un grand tout que constitue l’œuvre singulière de Houellebecq ; il est la suite de cette grande causerie commencée avec « Brève extension du domaine de la lutte » et est, de ce point de vue, essentiel pour la poursuite du voyage. Un voyage dont on devine le terme assez proche. François va renaître mais l’âge, la décrépitude et un ennui infini, impossible à compenser par une vision matérialiste et désenchantée du monde, ne peuvent que conduire au naufrage. “Soumission” est une vision du monde ou la femme est soumise à l’homme et l’Homme soumis à Dieu. Vision guère innovante.
Cet article sur le livre “Soumission” de Houellebecq a été publié le 9 février 2015.