Octave Mirbeau (1848-1917) fut un écrivain prolifique : articles, essais, contes, nouvelles, pièces de théâtre et romans. Esprit brillant, il a su percevoir le talent là où d’autres ne voyaient que de l’esbroufe et de la vaine provocation. Journaliste, il a écrit d’importants articles sur Van Gogh et Gauguin à une époque où ils étaient inconnus du grand public. Il pris aussi la défense d’Oscar Wilde. Courageux, il a défendu les causes auxquels il croyait. Selon Émile Zola, Octave Mirbeau avait “donné son cœur aux misérables et aux souffrants de ce monde“.
Octave MIRBEAU a commencé comme « nègre » ou « ghost writer » : une dizaine de romans auraient été identifiés comme écrits de sa main. Cinq d’entre eux sont désormais diffusés sous le nom de leur véritable auteur : « L’Écuyère », « La Maréchale », « La Belle Madame le Vassart », « Dans la vieille rue » et « La Duchesse Ghislaine ». Cette manière de débuter dans la littérature, par nature frustrante, aura été un bon exercice appliqué d’écriture, d’essai de compositions romanesques et d’exercices de style. La plume de MIRBEAU suffisamment aiguisée, la production sous son propre nom commencera avec « Le Calvaire » en 1886.
L’intelligence d’Octave MIRBEAU a eu un impact inestimable sur ses livres en leur évitant de se “démoder”. En effet, Octave MIRBEAU nous parle de l’humain donc de nous, en tournant et retournant sous sa plume nos contradictions, nos angoisses, nos qualités et nos défauts avec des mots simples, avec des mots justes. Son talent est de sortir des cadres établis, de bousculer les institutions, de déconditionner le lecteur pour lui montrer autrement la société dans laquelle il mène une existence moins libre qu’il ne le croit. Octave MIRBEAU a visé juste en regardant ses contemporains, si juste que ce qu’il évoque nous parle à nous, lecteurs de 2013. Octave MIRBEAU a su déshabiller la société humaine pour mettre à nu les corps et les tourments psychologiques qui les usent et les poussent parfois dans le vide. Octave MIRBEAU analyse nos turpitudes sans jamais tomber dans le manichéisme (d’un côté les bons, d’un autre les mauvais). Octave MIRBEAU est direct. Il nomme les choses au risque d’avoir choqué son époque : les mots sang, viol, sexe surgissent quand ils doivent intervenir sur la grande scène de la vie. L’intelligence du regard et l’honnêteté intellectuelle de l’auteur ont préservé ses écrits du temps : indémodables et toujours d’actualité, les textes de MIRBEAU sont à lire de toute urgence.
Octave MIRBEAU était un anarchiste, un libertaire, un esthète. Pour lui la démocratie était un leurre qui ne méritait pas la présence d’un électeur dans l’isoloir. Homme provoquant, il justifie son rejet du système dans « La grève des électeurs ». Force est de constater que son analyse, si elle conduit de façon radicale au rejet d’un système, révèle les défauts de ce dernier que bien d’autres intellectuels ont aussi dénoncé et dénoncent encore. Il faut croire que certains arguments, si dérangeants qu’ils soient, méritent d’être soupesés pour en apprécier la portée.
Octave Mirbeau était un défenseur des exploités, de celles et de ceux qui s’éreintaient pour un salaire de misère et pire, qui se laissaient dévorés par le mépris porté sur leur condition, condition qui ne valait nulle attention aux yeux de certains. Octave MIRBEAU évoque le cas d’un jeune adolescent manipulé pour satisfaire les désirs sexuels d’un homme ayant autorité sur lui (« Sébastien Roch »), d’un porte plume qui vend son talent en contrepartie d’une ombre dans laquelle il devra se terrer «(« Un gentilhomme »), de femmes, jouets des désirs de leurs maîtres (« Le journal d’une femme de chambre »). Octave MIRBEAU a dénoncé les abus sexuels et psychologiques, le pouvoir de ceux qui, par l’impunité offerte par leur rang dans la société, utilisent autrui comme un objet de consommation jetable. Vous l’avez compris, Octave MIRBEAU ce n’est pas Barbara Cartland.
Son œuvre, comme il se doit pour tous provocateurs, est relativement peu éditée et donc difficilement accessible en librairie. Une fois de plus, l’ère du numérique permet d’accéder à un large éventail de la production de l’auteur. Outre les sites de téléchargement dont vous trouverez les références dans un article du site intitulé « Télécharger gratuitement des livres numériques » (janvier 2013), je vous invite pour mieux découvrir Mirbeau à vous rendre sur ces deux sites incontournables :
http://www.mirbeau.org/index.html
En librairie, se trouvent en général quatre ouvrages édités avec constance :
– « Le journal d’une femme de chambre » : livre adapté au cinéma par Luis Bunuel avec Jeanne Moreau dans le rôle titre. Ce journal est un périple “vitriolesque” dans le « beau-monde » vu de la domesticité. Célestine, héroïne de ce roman, est notre espionne, nos yeux. Douée d’un bon sens de l’observation et d’une ironie frisant quelquefois le cynisme, elle nous ouvre tout grand le rideau des alcôves, les tiroirs des commodes, la cervelle des maîtres et des maîtresses, les messes basses des domestiques. Le livre amuse ; on rit ; on se laisse surprendre par certaines situations ; on retrouve telle forme de pingrerie observée ici ou là, tel ennuie des obsessions matérialistes et parfois cette impression de mort avant la mort, qu’exhalent certains êtres ayant perdus toute forme d’humanité.
– « Le jardin des supplices » : ce livre est un effarant voyage dans la folie. Folie d’un homme qui tombe amoureux d’une femme vénéneuse ; folie de cette femme qui se plaît à frôler l’horreur pour trouver, ou tenter de trouver, une horreur encore plus forte que celle qui dévore son esprit épouvanté par le vide et le non sens de son existence. Livre de la dépossession de soi par la force de la passion et la force des vices d’une société qui se veut raffinée. « Le jardin des supplices » a sans doute fortement inspiré certains passages des ouvrages de Lucien Bodard (« Monsieur le consul » ou « Les dix-mille marches » ). Sa lecture nous fait penser aux scènes de torture du « Fleuve des perles -L’araignée rouge » de René de Pont-Jest qui deviennent bien douces en comparaison des évocations d’Octave MIRBEAU. La Chine étale dans un jardin de cauchemar son art raffiné de la torture, de la souffrance prolongée, de la destruction au scalpel des hommes. Ici, le sang, la boue, les secrétions des corps souffrants et purulents, la pourriture et la mort éclaboussent les pages de ce livre. Lecteur, tu dois être prévenu, ce livre est de l’horreur calligraphiée, âmes sensibles passez votre chemin !
– « L’abbé Jules » : ce roman nous fait suivre un homme qui se brise dans ses vaines tentatives de révolte. Le héro, au service de son idéal, se trouve confronté à ses désirs. La chair fait mauvais ménage avec le dogme de l’abstinence. Mirbeau dans cet ouvrage, comme dans d’autres, nous montre des jeux psychologiques, qui seront théorisés dans un langage abscons au cours du 20ème siècle. La limpidité de l’écriture de MIRBEAU devrait servir d’exemple à bien des thérapeutes.
– « Les affaires sont les affaires » : pièce célèbre de Mirbeau. Reprise avec succès depuis sa création, le titre dit tout : ici l’argent exclut la pitié, le sentiment et la morale, et se suffit à lui-même. Un nouveau dieu remplace le précédent. Ce nouveau dieu est moderne car il est coté à la bourse. Déjà, Chateaubriand dans ses « Mémoires d’Outre-tombe » constatait avec amertume la puissance de ce nouveau maître qui étalonne la réussite et les talents.
Octave MIRBEAU était un esthète, un homme sensible. Les arts, l’amitié, l’amour des autres étaient des valeurs essentielles dans sa vie. Un court texte, édifiant et meurtrissant, illustre le fossé abyssal séparant MIRBEAU du matérialisme et de la finance : « Mémoire pour un avocat ». Ce texte oppose un homme à la femme qu’il vient d’épouser, épousailles fondées sur une erreur d’appréciation de l’autre. Deux visions du monde se confrontent, celle de l’artiste et celle du comptable.
Octave MIRBEAU est avant tout un grand écrivain. A ce titre, il ne s’est pas installé dans un style qui une fois trouvé devient une sorte de rente de situation pour auteur paresseux. Octave MIRBEAU s’est interrogé sur la forme du roman et ses conventions. Difficile d’imaginer que MIRBEAU aurait pu se satisfaire des conventions du roman. Les conventions, c’est bien pour apprendre et acquérir la maitrise de son art sur le plan technique ; faire éclater les conventions, c’est faire usage de sa technique pour créer, inventer, soumettre au regard un autre point de fuite et faire œuvre d’artiste.
En 1891, Octave MIRBEAU écrit à Claude Monet : «Je suis dégoûté, de plus en plus, de l’infériorité des romans, comme manière d’expression. Tout en le simplifiant, au point de vue romanesque, cela reste toujours une chose très basse, au fond très vulgaire ; et la nature me donne, chaque jour, un dégoût plus profond, plus invincible, des petits moyens». MIRBEAU va contester de plus en plus vigoureusement la forme romanesque. Cette contestation apparaît avec « Dans le ciel » en 1892/1993 (MIRBEAU renonce à tout récit linéaire et offre une simple juxtaposition d’épisodes sans autre lien les uns avec les autres qu’un narrateur unique) puis avec « Les 21 jours d’un neurasthénique » (1901) (collage d’une cinquantaine de contes parus dans la presse depuis près de quinze ans), « La 628-E8 » (1907) (le héros est une voiture) et « Dingo » (1913) (le héros est un chien, mais un chien “littéraire”). Désormais pour MIRBEAU, le réel et le vécu se mêlent trop au rêvé, à l’inconscient. Le roman est mis à mort. Il y a dans ces dernières œuvres un peu de ce trouble euphorique que l’on trouve dans « Le journal d’un génie » de Dali. Mais MIRBEAU n’était-il pas aussi l’ami de Georges Rodenbach, le grand écrivain surréaliste belge ?
Pour un approfondissement sur l’œuvre et l’écriture de MIRBEAU, vous pouvez lire « Octave MIRBEAU et le roman » de Pierre Michel (http://michel.mirbeau.perso.sfr.fr/)
A vous de lire Octave MIRBEAU !
(Publication initiale : 24 août 2013)