« Pour Jacqueline Delubac, reine des élégantes, Roger Peyrefitte Paris, le 11. V. 93
Pour un lyonnais, Jacqueline Delubac n’est pas une inconnue. Lyonnaise de naissance, elle restera dans les mémoires pour la formidable donation faite au musée des Beaux-arts de Lyon. Je la revois dans une robe de Pierre Cardin, inspirée par le fils de l’homme de Magritte, à une soirée déguisée ou posant chez elle, avec en fond, une toile de Braque accrochée au mur. Reine des élégantes elle était, reine des élégantes elle le restera notamment par la magie du cinéma. Actrice pétillante du cinéma d’avant guerre, femme trophée de Sacha Guitry, femme respectée par Roger Peyrefitte. Cette dédicace est donc fort émouvante.
Roger Peyrefitte est un auteur passé de la lumière à l’obscurité. Aujourd’hui, qui le lit, qui le connaît dans les jeunes générations, je veux dire les moins de trente ans ? Peu, très peu. A la décharge de ces générations, l’auteur n’est quasiment plus édité. La quasi-totalité de ses livres n’est accessible que sur le marché de l’occasion, heureusement très florissant.
Pourquoi un tel oubli ? Sans doute les circonstances de la vie et la rancune encore tenace des quelques survivants égratignés par Roger Peyrefitte. Les circonstances de la vie ou plutôt celles de la mort brutale de son exécuteur testamentaire, peu de temps après le décès de Roger Peyrefitte. Rancune tenace de certains car Roger Peyrefitte a beaucoup parlé, beaucoup écrit, beaucoup dénoncé les turpitudes et beaucoup moqué.
Aujourd’hui, ceux qui ne veulent pas que son œuvre ressorte de l’ombre où provisoirement elle se morfond, utilise un qualificatif simpliste et facile pour évacuer Roger Peyrefitte des débats et des sujets de préoccupations littéraires : sulfureux. Roger Peyrefitte est un auteur sulfureux. La sentence tombe et plus rien n’est à dire. Que cache le terme sulfureux ? Son homosexualité ou sa pédérastie sans doute et son penchant, quoique sujet à caution, pour la droite de l’échiquier politique. Ces reproches sont évidemment à explorer, pour mieux en appréhender l’importance, le caractère réellement sulfureux et surtout pour se demander si les choix de vie d’un homme justifient que son œuvre ne soit plus lue.
Roger Peyrefitte est avant tout un écrivain brillant parmi les plus cultivés du XXème siècle et l’auteur d’une œuvre importante. Cette œuvre se suffit à elle-même et n’a pas besoin de l’évocation de la nature de l’écrivain. Cette importante production littéraire pourrait se classer en cinq catégories pour en faciliter la présentation, sachant que bien des ouvrages pourraient appartenir à plusieurs de ces catégories :
Les livres « d’Histoire » : Voltaire, Voltaire et Frédéric II, Alexandre le Grand, La nature du prince, Les secrets des conclaves, Réflexion sur De Gaulle…
Les livres « de Culture » : Du Vésuve à l’Etna, Les chevaliers de Malte, L’Oracle, L’exilé de Capri, Retour en Sicile.
Les livres « sur l’homosexualité » : Les amitiés particulières, Les amours singulières, Roy, La Muse garçonnière, Le dernier des Sivry, Jeunes proies.
Les livres « sur la société » : Les américains, Les français, Les juifs, Tableaux de chasse ou la vie extraordinaire de Fernand Legros, Les clefs de Saint-Pierre, Manouche, Les ambassades, La fin des ambassades, L’illustre écrivain, La soutane rouge, Mlle de Murville, La coloquinte, Les fils de la lumière.
Les livres « de confidences » : L’innominato, Propos secrets 1 et 2, L’enfant de cœur, Notre amour, La mort d’une mère.
L’écriture de Roger Peyrefitte est belle. Tous ces ouvrages révèlent la culture incroyable de cet auteur : références historiques, anecdotes, expériences vécues ou empruntées à d’autres, références littéraires, tout se mêle pour le plus grand des plaisirs. A vrai dire, lire Roger Peyrefitte est jouissif. Comment ne pas être séduit par son érudition en lisant les ouvrages consacrés à Voltaire ou à Alexandre. Comment ne pas sourire à la satire. Certains livres sont troublants : je pense à l’ouvrage « Les américains », périple aux sein des Etats-Unis en plein Flower power ou un jeune américain interroge sa propre culture pour en révéler les facettes, ouvrage déstabilisant par son originalité.
D’autres ouvrages mettent l’eau à la bouche. Difficile de ne pas lire « Du Vésuve à l’Etna » sans se précipiter dans une agence de voyage pour rejoindre immédiatement Naples et sa région.
Enfin, certains livres de Roger Peyrefitte possède un pouvoir hilarant par les anecdotes racontées. Il y a bien sûr ses propos secrets qui lui valurent tant d’ennemis ou La vie extraordinaire de Fernand Legros. Ces ouvrages ne laisseront pas le lecteur de marbre, fou rire garanti !
Enfin, il serait réducteur d’associer systématiquement toute l’œuvre de Roger Peyrefitte à l’homosexualité. Son œuvre est certes marquée par son orientation sexuelle mais elle dépasse ce qui était loin de définir cet homme. Certes, certains ouvrages abordent de front le sujet. Roger Peyrefitte a eu le mérite de dire tout haut ce que d’autres cachaient, de s’afficher tel qu’il était et de dénoncer les hypocrisies. Sans aucun doute, Roger Peyrefitte a joué en France un rôle capital dans l’acceptation des différences.
Roger Peyrefitte sortira-t-il enfin de l’ombre dans laquelle il est exilé ? Je l’espère. Récemment des ouvrages sont parus ou vont paraître sur Roger Peyrefitte. Je ne les ai pas lus mais leur rareté ne peut qu’inciter tout lecteur curieux de savoir qui était Roger Peyrefitte à les lire. Toutefois, en conclusion, je citerai Roger Peyrefitte : « Je ferai simplement cette mise au point : que mes lecteurs ne croient qu’à demi ce qu’on me fait dire ou ce qu’on publie sur moi. Et qu’ils ne fassent confiance qu’aux textes que je signe. » (Propos secrets/2 P.143)
A lire : tous les ouvrages de Roger Peyrefitte ! et la biographie de Roger Peyrefitte par Antoine Deléry.
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