Auteurs, Littérature

Olga de Janina, la liberté assumée

Une nouvelle édition des «Lettres d’un excentrique » d’Olga de Janina est mise à la disposition du public. Cette nouvelle édition est enrichie d’une préface biographique originale et offre aux lecteurs un texte rare, une « Causerie sur Franz Liszt ».

Qui était Olga de Janina ? La question est posée dès que le nom de cette femme est prononcé. La postérité est sévère et parfois tardive. Certains destins se dissolvent dans la nuit des temps passés faute d’avoir été contemporains d’une technologie qui aurait permis de garder une trace de ce qui a été ; certains destins basculent dans l’oubli pour avoir trouvé un terme à la veille d’un évènement cataclysmique qui emporte tout sur son passage.

«J’étais une enfant sauvage, violente, difficile à convaincre, plus difficile à soumettre. Le vent de la steppe avait bercé mon premier sommeil, il avait murmuré des chansons rayonnantes à mes oreilles d’enfant. Ces chants, ces soupirs avaient un refrain étrange : l’amour et la liberté cosaques qui ne ressemblent à aucun autre amour, à aucune autre liberté. » Telle est la description donnée d’elle même par Olga de Janina dans les « Souvenirs d’une cosaque ». Déjà l’amour, déjà la liberté, déjà l’insoumission, déjà les traits caractéristiques de celle qui deviendra une célèbre et talentueuse pianiste. Olga de Janina a donné des concerts dans toute l’Europe et même aux Etats-Unis. Hélas, elle a joué avant que les techniques d’enregistrement ne soient au point. Aucun enregistrement, aucun cylindre de cire (du moins connu) n’a conservé la trace de son jeu pianistique. Olga de Janina est morte à Paris, la veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Elle, et bien d’autres, ont été rayés rapidement de la mémoire des hommes. Le traumatisme et les horreurs de la Grande Guerre ont eu raison de bien des souvenirs et de la vie heureuse d’avant 1914.

Olga de Janina s‘est essayée à la littérature et ses livres nous permettent de garder un lien intellectuel avec cette femme. Elle a écrit cinq ouvrages : quatre pamphlets sur Franz Liszt et un recueil de lettres ou plutôt de nouvelles. Elle a aussi cofondé l’Académie de musique de Genève. Ce sont les principaux faits de cette femme qui nous sont encore accessibles aujourd’hui. Certains diront méfaits car les pamphlets sur Liszt ne sont pas forcément vus d’un très bon œil. Pourtant, il ne faut pas s’y méprendre, ces pamphlets relèvent certes du règlement de compte, mais du règlement de compte par dépit amoureux. La passion a guidé la main de la pianiste pour tracer avec la plume quelques lignes assassines et impudiques sur l’intimité de Liszt.  Olga de Janina ne cessera jamais d’admirer et de jouer Liszt dont elle fut l’élève avant d’en devenir l’amante, la pamphlétaire puis l’inlassable ambassadrice dans les salles de concert. Il est vrai, entre l’amante et la pamphlétaire, se glisse l’assassin ou plutôt l’apprenti assassin. Là encore, il faut nuancer le propos et le compléter. La menace d’assassinat de Liszt par Olga de Janina, dans la maison du maître à Budapest, fut un grand moment mélodramatique et romantique. La belle Olga était venue voir Liszt avec poison et revolver mais elle laissa le compositeur mettre à l’abri ces dangereux outils pendant qu’elle criait et menaçait d’en finir avec lui.

Le tempérament d’Olga de Janina n’était pas tiède mais de feu. Elle se présentera comme une cosaque et une figure de la noblesse. Elle agira en homme libre en se moquant bien des interdits et des règles de son époque. Elle était une femme, et alors ? Devait-elle, en raison de son sexe, se soumettre à un ordre social qui lui interdisait de se mêler aux agitations du monde ? Sa réponse fut constante : non. Olga de Janina a décidé de vivre sa vie selon ses désirs, selon ses propres règles. Son comportement et sa liberté revendiquée lui ont valu d’être décriée, d’être qualifiée d’ébouriffée, de femme un peu dérangée, de libre penseuse et de créature dangereuse dont la fréquentation horrifiait les mères des fils subjugués par Olga. Inévitablement, elle sera traitée de bas-bleus, de femme sortie de son rang, lequel avait au 19ème siècle les apparences d’une prison.

Olga de Janina ne cherchait pas à s’opposer au genre masculin mais elle voulait simplement vivre socialement comme les hommes sans que sa féminité ne soit un frein à cette volonté. Olga de Janina aspirait à la liberté d’être le capitaine de son destin et sa démarche lui coûta bien des injures et des moqueries.

Olga de Janina a écrit quatre pamphlets et un ouvrage ciselé, les « Lettres d’un excentrique ». Publiées sous le pseudonyme de Robert Franz, ces lettres, censées avoir été écrites par  ce monsieur, sont en fait de sublimes nouvelles. Olga de Janina aimait incontestablement la langue française et a su mettre cette langue au service d’histoires troublantes ; d’histoires dans lesquelles la liberté n’est pas acquise et les tourments des cœurs et de l’esprit sont nombreux et loin de l’apaisement. Ces lettres  sont toujours d’actualité car elles parlent aux lecteurs d’aujourd’hui comme aux lecteurs d’hier. Ces lettres nous tendent un miroir dans lequel nous observons des turpitudes toujours actuelles et des mouvements de fond qui nous agitent et questionnent nos identités et nos valeurs.  Les « Lettres d’un excentrique » sont à lire de toute urgence car il s’agit d’une lecture qui sollicite et respecte l’intelligence du lecteur et qui nous donne à voir la complexité de ce que nous sommes. A cela, s’ajoute l’esprit impertinent, observateur et plein d’humour d’Olga de Janina. Une de ces lettres commence à Ostende, « Une grève blanche et sablonneuse, peuplée de petites tentes qui sont autant de salons où l’on se visite en cérémonie, en grande toilette, en échangeant des médisances et des bonbons .»  C’est impitoyable, direct et bien dit, c’est Olga de Janina.

Les éditions Sansquilsoitbesoin publient une nouvelle édition des « Lettres d’un excentrique » dont l’édition originale date de 1876. Il s’agit d’une véritable nouvelle édition et non de la simple reproduction/réimpression de l’ouvrage de 1876. Le texte a été corrigé de ses scories et il a été enrichi par des notes d’éditeur afin de permettre au lecteur de ne pas buter sur un mot dont le sens aurait aujourd’hui changé ou dont l’usage aurait disparu. Disons le clairement : le texte d’Olga de Janina n’a pas vieilli que ce soit dans son contenu comme dans sa forme. Les notes d’éditeurs sont donc peu nombreuses. Il s’agit d’un véritable travail d’édition car le texte d’Olga de Janina est précédé d’une longue préface biographique inédite. Cette préface a nécessité de longues recherches, car Olga de Janina est une anguille. Difficile de suivre le parcours d’une femme morte en 1914 et qui n’a cessé de changer de nom et d’adopter des pseudonymes. Elle paraît puis disparaît pour réapparaître sous une autre identité. Olga de Janina sera ainsi Olga Cezano, Olga Vulliet, Sylvia Zorelli, Robert Franz et enfin Nikto. Olga de Janina était une voyageuse, une nomade ; son pays était l’Europe. Olga de Janina est un personnage hors norme qui a vécu plusieurs vies. Il y a plusieurs femmes en Olga de Janina. Il y a du féminin et du masculin pour le plus grand trouble de ses contemporains ; il y a de multiples identités pour la plus grande peine de celui qui s’attelle à une recherche biographique sur cette artiste.

Enfin l’édition des « Lettres d’un excentrique » présente un texte rarissime, publié en 1873 dans un journal  et jamais publié dans un ouvrage : une « Causerie sur Franz Liszt ». Causerie est un mot charmant que l’on pourrait aujourd’hui remplacer par conférence si une telle substitution de vocabulaire n’emportait pas avec elle toute la chaleur et la proximité humaine que contient le mot causerie. Olga de Janina aura été toute sa vie une inlassable ambassadrice de la musique de Liszt. Elle a su mettre d’un côté la passion et le dépit amoureux, et de l’autre, l’admiration pour le compositeur. Olga de Janina avait pour habitude, avant chaque récital consacré à Liszt, d’expliquer au public en quoi la musique de Liszt était novatrice et comme telle nécessitait une première écoute attentive puis une familiarisation avec son répertoire. Olga de Janina savait le grand public sensible à ce qu’il connaissait et intimidé par ce qu’il ignorait. La routine était pour Olga de Janina le pire des poisons. Il faut, écrivait-elle « nous arracher ainsi aux bourbes de la routine » et ne plus être de ces « badauds qui réclament les plaisirs digestifs plutôt qu’une occasion d’exercer leur intelligence ». Le style est toujours percutant. Cette « Causerie sur Franz Liszt » est aussi un document exceptionnel qui nous donne à entendre le point de vue d’une grande concertiste, élève et contemporaine du compositeur, sur la musique de ce dernier. En lisant cette causerie, nous découvrons comment une pianiste célèbre, d’avant le gramophone, considérait la musique de Liszt et en faisait la promotion auprès du public des salles de concert. Ce texte est donc émouvant, instructif et un formidable témoignage d’une époque où la musique de Liszt n’était pas encore une valeur sûre, reconnue et incontestable du répertoire.

Olga de Janina était une belle femme. Tout au long de sa vie, elle aima jouer sur la confusion des identités et des genres. Elle se montrait parfois en garçonne et ne pouvait qu’impressionner ceux qu’elle croisait. Olga de Janina, maitresse de sa vie, le fut aussi de sa mort. Elle se fit inhumer à Montrouge sous un pseudonyme, le dernier  qu’elle   utilisa  dans  sa  vie,  Nikto,  qui  signifie  « personne » en slovaque.

Olga de Janina fait partie de ces femmes, aujourd’hui oubliées, mais qui un jour retrouveront la lumière. Dans un autre domaine, il y a quelques années, Olympe de Gouges n’était connue que de quelques avertis avant d’être réhabilitée. Puisse Olga de Janina connaître le même sort et, d’entre les ombres, rejaillir à la lumière, lumière qui n’est autre que le regard des hommes d’aujourd’hui, de moi, de vous.

Pascal GOURIOU

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