Théâtre

Niki de Saint Phalle touche sa cible

Juliette Andréa Thierrée, sous ses apparences de femme artiste nonchalante et bohême, cache bien son jeu. De nonchalance vaporeuse, il n’y en a pas chez cette femme. Juliette Andréa Thierrée est un roc, un caractère trempé dans l’acier et déterminé à faire son œuvre. Il faut avoir la solidité de la pierre et de l’acier pour écrire, mettre en scène et jouer une pièce dont le sujet central est Niki de Saint Phalle.

Beaucoup de gens ignorent encore qui est Niki de Saint-Phalle. Beaucoup toutefois, le temps fait son oeuvre, savent que c’était une artiste. Beaucoup ne voient en elle que la femme amoureuse de Tinguely. Une partie du public identifie tout de même l’artiste à ces fameuses Nanas dont l’une des plus belles et des plus légères, surnommée l’ange protecteur,  survole les voyageurs qui déambulent dans la gare de Zurich. Pour tous les connaisseurs et pour tous les ignorants, Juliette Andréa Thierrée livre un spectacle émouvant, enivrant, coloré et habilement structuré par l’usage d’accessoires et d’une voilure faite de deux grands rideaux.

Immédiatement, une relation complice s’établit entre le public et Niki de Saint Phalle. Ne tournons pas autour du sujet, Juliette Andréa Thierrée, toute auréolée de ses titres d’auteur, de metteuse en scène et d’interprète a la grandeur de ceux qui s’effacent devant leur personnage : sur scène Juliette Andréa Thierrée est Niki de Saint Phalle ! Pas une seule seconde nous doutons de la présence de la grande Niki. Pourtant nous savons bien que la mère prolifique des nanas est morte en 2002 . Mais ce soir, sur la scène, le temps s’est contracté et replié. Niki de Saint Phalle est devant nous.

La prestation de Juliette Andréa Thierrée est sidérante de justesse, de délicatesse et de rage. Sur scène, l’artiste convoque ses souvenirs et ses amis objets. Il y a de la couleur, des tissus, des objets dont la plupart ont l’écho de l’enfance : un petit cheval, un bouquet magique, une grande plume… Tout est subtilement mené jusqu’à l’évocation de l’indicible par la course d’une craie sur le coté d’une valise. La mise en scène est évocatrice et certaines scènes sont impressionnantes par l’effet produit. Difficile de se remettre de l’évocation par le geste de la faute du père… Placer aussi habilement le public face et au contact de Niki de Saint Phalle rend plus critiques et étranges certains oublis furtifs du texte. Ces moments, rares heureusement, affaiblissent néanmoins l’illusion dans laquelle nous étions plongés. Pour autant, soyons justes, ces petits défauts sont propres aux premiers pas, et nul doute que l’artiste , depuis le 10 juillet, les a corrigés. Précisons que Juliette Andréa Thierrée est seule sur scène et que le texte percutant et sonnant admirablement nécessite d’être bien apprivoisé, y compris par son auteur.

Juliette Andréa Thierrée offre au public une leçon de vie subtile et sans tabous. Niki de Saint Phalle évoque sa vie, ses expériences et par la même occasion la place de la femme mais aussi de l’homme dans une société normée et cruelle. Etre soi, vivre sa vie et non la vie imposée par les autres sont des défis relevés par Niki de Saint Phalle. Face à nous, elle nous invite à nous réveiller et à refuser les crimes de la société. Le pistolet n’est pas loin et la rage est suffisamment forte pour appuyer sur la gachette. Pour Niki de Saint Phalle l’art était une thérapie, le seul moyen de calmer son chaos intérieur. Juliette Andréa Thierrée offre une pièce dont la vertu ( thérapeutique ?) est de nous rappeler que vivre est notre plus important projet. Cette pièce a un potentiel énorme. Il est urgent de courber le temps et de retrouver cette femme admirable que fut Niki de Saint Phalle. La rencontre se fait à l’espace roseau teinturiers et c’est une rencontre inoubliable.

Fred Lecoeur