Théâtre

KAMIKAZES, sans regrets !

Kamikazes, c’est trash et c’est cash ! Les mots sont violents. Dès les premières minutes, le public est pris par le cou, en tenaille, et il est bien secoué. Sur scène, ils sont sept : il y a la femme aimée, Hélène (Raphaëline Goupilleau) qui déambule dans un espace temps bien à elle et les six autres autour d’une table et dans une autre temporalité. Ils sont perchés au plus haut point. Ils détestent tout : eux-mêmes, les autres, leur vie, le monde. Le politiquement correct et la bienséance volent en mille éclats. Mais, sous des apparences de brutalité sauvage, la pièce se révélera d’une grande subtilité et porteuse d’un grand désespoir. Ce désespoir si bien mis en scène est sans doute la tête d’aiguille destinée à stimuler le spectateur pour l’amener à réfléchir sur le sens de sa vie.

Autour de la table, il y a Franck (David Brécourt) qui ressasse la disparition de la femme qu’il a aimé, la belle Hélène. Il y a les deux frères qui se détestent au point de ne plus pouvoir se dire frérot. L’un est gay, Dick (Pierre Hélie), mordant et jamais caricatural. L’autre est hétéro, c’est Thomas (Valentin De Carbonnières). Thomas pousse haut sa voix virile et se lamente de la disparition de sa fille Charlotte. Enfin, sa fille mais pas du point de vue biologique. La mère de l’enfant, Judith (Julie Cavanna), la plus perchée de tous, a copulé avec un jeune homme, Matthias (Pascal Gautier), qui lui aussi traîne autour de la table. Il traîne comme une balle perdue. Thomas est dépossédé de sa virilité en étant dépossédé de sa qualité de père biologique. La mère de feu Charlotte ressasse tout en permanence. Elle se sent soudainement juive, elle se sent bien, elle se sent si belle juchée sur la table et repliée sur elle même. Il y a la femme médecin, Sarah (Salomé Villiers), aigrie qui dézingue à tout va. Femme médecin qui se demande pourquoi elle a vendu l’alliance de son père et s’effraye à l’idée que cette alliance puisse devenir un anneau gastrique. Elle aussi, dans le genre perché, on atteint la canopée.

La vaisselle va vite valdinguer dans les airs et atterrir sur le sol. On s’exhibe sur la table, on la déforme au point de lui donner un inquiétant profil de cercueil. Les convives de ce repas raté ont de la rancœur et carburent aux regrets. Ils se lâchent et se sacrifient.  L’omelette norvégienne ne sortira pas indemne de cette furie.

La femme aimée du patriarche déambule dans son espace temps sans voir les autres. Elle rêve du repas qu’elle n’a pas pu organiser. Elle voudrait cuisiner un bœuf mironton. Elle voudrait voir tout son petit monde attablé.  Mais elle ne le voit pas alors que les convives sont déjà présents autour de la table. Il faut dire que la femme aimée a eu maille à partir avec un méchant crabe.

La mise en scène de Kamikazes a la nervosité du texte de Stéphane Guérin. Les comédiens se déchaînent dans ce maelstrom de dérision, de dégoût et de violence plus ou moins larvée.

Le public assiste stupéfait à cette réunion d’estropiés de la vie. La prestation des comédiens est captivante. Aucune fausse note.

Au terme de Kamikazes, on médite sur ce que l’on vient de voir, cette décomposition d’un monde. Le spectacle laisse des traces en nous. Kamikazes est une pièce courageuse qui dénonce bien des travers de notre société « ressassante » à l’excès, cette société qui se plaît à tourner en boucle sur les mêmes drames, les mêmes occasions manquées, les crimes du passé, les fautes, les douleurs, les rancœurs et son nombril.

La mise en scène d’Anne Bouvier est inventive et subtile. On ne s’ennuie pas devant ces règlements de compte car on est attentif à ce que l’on voit et entend. On ne va pas se mentir, c’est bon signe ! La « metteuse » en scène a pris à bras le corps le texte de Kamikazes pour donner au public un salutaire coup de pied dans le ventre. C’est vrai, cela fait mal mais cela interpelle et réveille. Comment rester impassible, inerte et mou quand on songe à la fin inexorable qui nous attend tous ?

Fred Lecoeur

Kamikazes est joué au Théâtre Buffon à 21H35 dans le cadre du Off d’Avignon jusqu’au 29 juillet 2018.

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